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Le Fer un élément indispensable mais complexe

Le fer, minéral essentiel pour l’organisme reste difficilement négligeable pour la santé mais complexe à maîtriser dans la formulation d’un aliment. A l'Institut Agro Dijon deux thèses ont porté récemment sur ce sujet au sein de l’UMR-PAM. Une première a montré que l’ajout de jus citron dans de l’houmous pouvait offrir une perspective de lutte contre l’anémie chez les végétariens en augmentant fortement son assimilation dans le corps. La seconde a montré qu’il était possible de limiter l’oxydation du DHA, acide gras essentiel, en présence de fer, ce qui permettait donc de maintenir la qualité nutritionnelle d’une préparation pour nourrisson avec des choix de formulation appropriée.

Pourquoi le fer est-il aussi important dans notre organisme ?

Le fer est nécessaire à la fabrication de l'hémoglobine : protéine présente dans les globules rouges qui permet de transporter l'oxygène dans l’organisme. Il permet également d’entretenir la myoglobine : protéine du muscle permettant de stocker l'oxygène, ainsi que les enzymes impliquées dans la respiration et la synthèse de l’ADN. Si la carence en fer conduit à l'anémie, les conséquences d'une carence modérée sont encore mal définies : réduction de la capacité physique et des performances intellectuelles, moindre résistance aux infections, perturbations au cours de la grossesse, et des anomalies dans le maintien de la température corporelle sont de plus en plus évoquées. 

Le nombre de personnes anémiées au niveau mondial est évalué à 1,5 milliards (20% de la population mondiale n’ont pas assez de globules rouges dans le sang), ce qui rend compte de l’importance de ce sujet de nutrition du fer. Au final, on considère que 50% à 80% de la population mondiale seraient de « un peu » à « sévèrement » carencée en fer. A l’inverse, l’excès de fer dans le corps peut être toxique et conduire à des maladies hépatiques, pancréatiques et cardiaques où le pronostic vital peut être engagé

Les fonctions biologiques du Fer

Un corps humain adulte contient entre 2,5 et 4 g de fer. Pour être plus précis encore, le corps adulte d’une femme contient environ 35 à 50 mg de fer par kilogramme corporel et celui d’un homme 40 à 50 mg/kg. Le fer, associé à des protéines, permet de nombreuses réactions chimiques dans les cellules. Ces réactions chimiques sont nécessaires à la vie des plantes et des animaux. Grace à son équilibre entre deux formes ioniques, le fer ferreux (Fe+2) et le fer ferrique (Fe+3), le fer permet la catalyse de réaction via le transport d’électrons(e) par l’intervention d’enzymes. Le fer pour les mammifères, et donc l’homme, participe en particulier à la respiration et la détoxification.

Le problème c’est que nous perdons tous les jours un peu de fer… Les femmes perdent en moyenne 20 microgrammes par jour et par kilogramme corporel et les hommes environ 12 microgrammes par jour et par kilogramme corporel, soit environ 1,3 mg par jour pour une femme de corpulence moyenne et 1 mg par jour pour un homme de corpulence moyenne. Il faut ajouter 1,5 mg/j de perte en fer lors des menstruations. Pour une femme enceinte, les pertes en fer s’élèvent entre 4 et 5 mg/j de fer ! L’assimilation du fer est difficile pour l’espèce humaine, seulement 10% du fer de la viande et 2% du fer des légumineuses est assimilé. Les apports recommandés doivent donc largement dépassés les pertes. Si vous rameniez les besoins de fer journalier à un seul aliment (dans votre quotidien, ne vous contentez pas d’un aliment pour vos apports en fer), une petite portion de boudin noir (78 g, soit à peine 2/3 d’un boudin noir de format classique) ou 100 g de foie de porc cuit, prêt à être consommé, suffisent aux apports quotidiens en fer d’une femme… Bien sûr, vous ne mangeriez pas que du foie ou du boudin : d’autres aliments apportent du fer. L’apport de fer est constitué par l’ensemble des aliments consommés dans une journée, des aliments les moins riches en fer au plus riches en fer. Il s’agissait juste de vous donner une idée de ce que représente un apport de 18 mg de fer par jour, non pas de vous inciter à une consommation journalière de boudin noir J.

A l’inverse, l’excès de fer dans le corps peut être toxique et conduire à des maladies hépatiques, pancréatiques et cardiaques où le pronostic vital peut être engagé.

Où trouve-t-on le fer dans la nature ?

  • Sur terre :

le fer constitue le deuxième élément chimique qui compose la Terre (28% en masse) essentiellement au cœur de la terre (79% dans le noyau et le magma terrestre). En revanche, en surface de la terre, dans le sol, le fer est plus rare et les plantes adoptent différentes stratégies pour réussir à absorber du fer. Le fer est indispensable à la vie des plantes. Le fer dans le sol est même parfois en quantité très limitée. Malgré cette très faible accessibilité au fer, les plantes parviennent à capturer le fer grâce à des séquestrant du fer que les micro-organismes du sol et certaines plantes synthétisent.

A l’INRAE de Dijon, dans l’équipe IMR (Interactions Multitrophiques dans la Rhizosphère) de l’UMR Agroécologie, des chercheurs travaillent sur les sidérophores des bactéries du sol (groupe des Pseudomonas spp. Fluorescents) utiles à la croissance et à la santé des plantes.

  • Dans les aliments :

L’aliment prêt-à-consommer le plus riche en fer est le boudin noir poêlé : en moyenne 22,8 mg de fer pour 100g. Les épinards cuits de Popeye contiennent dix fois moins de fer (2,1 mg/100g) et les lentilles cuites à l’eau ne contiennent que 1,4 mg de fer pour 100 g d’aliment prêt à être consommé, les pois chiches cuit à l’eau 1,3 mg / 100 g, et le lait 1er âge prêt-à-consommer pour nourrisson 0,64 mg / 100 g.

Il n’existe donc pas d’aliment idéal ou d’aliment magique comme le Nutriscore le laisserait à penser. Une alimentation s’équilibre sur des jours et des jours. Mangeons variés. Une fois cet avertissement donné, nous pouvons présenter les teneurs en fer de quelques aliments, et comparez en particulier les teneurs en fer de produits animaux et de légumineuses ou d’analogues végétaux de viande.

 

Il est clair que les produits carnés sont plus riches en fer que les produits végétaux. Si vous avez fait le choix d’une alimentation végétarienne, il convient d’être vigilant quant à vos apports en fer (et pas seulement…). Pour lutter contre les carences en fer et l’anémie, il faut éviter au maximum d’avoir recours à des compléments alimentaires ou des traitements médicamenteux. Il ne peut s’agir que de traitement de correction mais en aucun cas d’un usage sur le long terme. Il faut veiller à son alimentation et suivre quelques règles simples.

1 . Ne pas manger de produits laitiers avec des produits riches en fer, et en particulier de la viande. Les produits laitiers réduisent fortement l’assimilation du fer (la biodisponibilité du fer ; lire par exemple Cayot et al., 2013). A ce titre, les burgers sont une aberration culinaire ! Le fer apporté en grande quantité par la viande est complexé par les phosphates du fromage et le calcium du fromage est un compétiteur pour l’assimilation du fer. Il convient de choisir régulièrement (mais pas nécessairement tous les jours) des aliments riches en fer.
Un régime qui exclut tout produit animal et donc carné fait encourir des risques de carences en fer, mais aussi en zinc, en vitamine B12. Les régimes « extrêmes » vegan évidemment, mais même un régime végétarien (moins extrême), demandent une certaine expertise en nutrition pour que vous ne soyez pas en situation de risque pour votre santé…
2 . Manger un fruit ou un légume riche en vitamine C pourrait favoriser l’assimilation du fer (cassis frais, persil frais, poivron rouge, citron frais, kiwi, pamplemousse, fraise, orange)
3. Le fer animal est plus assimilable que le fer végétal. Sommes-nous contraints pour autant à manger de la viande quand nos convictions nous l’interdisent ? Pour des raisons environnementales, ou pour une position morale ou éthique, pour suivre des influenceurs du moment, la pensée du moment nous incite à réduire (parfois éliminer) les apports de protéines animales au profit des protéines végétales. Cependant, non seulement les apports en acides aminés essentiels des sources végétales ne valent pas ceux d’une protéine animale, mais comme on vient de le voir, les apports en minéraux, dont le fer, ne sont pas satisfaisant. Une majorité de nutritionniste recommande d’abaisser (mais pas de supprimer) l’apport de protéine animale.
3.  Améliorer l’absorption du fer par le corps grâce à une préparation et une formulation des légumineuses. La thèse de Nour Doumani a montré que par un trempage des pois chiche (8 à 24h avant la cuisson), puis une addition de jus de citron (qui contient beaucoup d’acide citrique mais aussi de la vitamine C) à la purée de pois chiche (après cuisson de graines en autocuiseur), l’absorption du fer par des cellules Caco-2 était multipliée par 9, et par 5 pour du houmous !

Comme toute chose, le fer possède sa face sombre. Indispensable à la vie, il est aussi un danger pour la santé. Le fer, par sa réactivité, est un pro-oxydant puissant. L’oxydation est nécessaire à la vie mais trop importante, elle devient mortelle pour les cellules : on parle de stress oxydatif. Les pharmaciens décrivent des symptômes « d’irritations coloniques » lors de l’administration de compléments alimentaires riches en fer. Il s’agit en réalité de l’oxydation des cellules épithéliales de l’intestin !

 

Le cas des préparations laitières pour bébés

La commission européenne a rendu obligatoire la présence de DHA (oméga-3 à longue chaîne) dans les préparations laitières pour nourrisson en 2015, avec une mise en vigueur définitive en 2021. Cependant, les préparations laitières pour nourrisson doivent aussi obligatoirement apporter du fer indispensable au nourrisson pour lui éviter l’anémie. Cette obligation nouvelle a créé une situation difficile pour les fabricants d’aliments pour bébé car en ajoutant du DHA leur produit est devenu instable et même impropre à la consommation. Le fer provoque l’oxydation du DHA, ce qui réduit non seulement sa valeur nutritionnelle mais crée des molécules volatiles (produits de la dégradation du DHA) qui donne une mauvaise odeur à la préparation laitière du nourrisson (odeur de poisson cuit).

Pour limiter l’oxydation il existe deux grandes stratégies :

  • Agir par le procédé. Le produit est emballé sous hypoxie, en présence très faible d’oxygène, avec une atmosphère modifiée contenant principalement de l’azote. C’est ainsi que les filets de poisson sont emballés sous vide. Pour des huiles fragiles, avant embouteillage, le barbotage d’azote est pratiqué dans la cuve qui contient l’huile pour chasser l’oxygène. Avant operculation de la bouteille, une goutte d’azote liquide est déposée par le goulot de la bouteille pour que l’azote forme un espace de tête sans oxygène. Dès l’ouverture de la bouteille ou de la boîte de poudre de lait pour bébé, la protection disparaît. Les produits sont aussi emballés dans des contenants opaques car la lumière favorise l’oxydation en excitant l’oxygène en présence des colorants de l’aliment.

  • Agir via la formulation. Il va s’agir d’ajouter des antioxydants comme le E304 (palmitate d’ascorbate), des tocophérols (vitamine E par ex.), des extraits de romarins (E392). Les antioxydants (AO-H) font disparaître les radicaux. Les antioxydants passent alors à l’état radicalaire mais ces espèces chimiques que sont les antioxydants restent stables à l’état radicalaire. On peut aussi ajouter des complexants du fer, comme l’EDTA (E385 ou E386). Actuellement, la tendance est de ne plus utiliser d’EDTA. Et dans le cas de la poudre pour bébé, le fer doit rester assimilable ! Il ne faut donc pas le complexer. La stratégie mise en œuvre dans la thèse, après plusieurs mois d’essais, a finalement consisté à choisir un émulsifiant de la matière grasse qui n’interagit pas, voire même repousse les ions Fer de l’interface eau-huile dans une émulsion.

Mais la stratégie ne s’arrête pas à l’interface. Il a fallu sélectionner un couple acide/base servant à réguler le niveau d’acidité de l’aliment (pH) pour que ce coupe tampon (régulateur de pH) n’interagisse pas avec le fer. Enfin, il nous a fallu déterminer une valeur de pH (niveau d’acidité) de l’aliment qui limite le transport du fer à l’interface des globules de matières grasses dans le lait pour nourrisson. La thèse de Samar Daoud a donné lieu aussi à la création de techniques analytiques rapides pour contrôler l’oxydation d’un aliment au cours de son stockage ou durant sa fabrication. Ces méthodes, dites de chimie analytique verte mises au point par Samar Daoud ont l’avantage d’être respectueuses de la santé des techniciens et expérimentateurs mais aussi de l’environnement.

Le Fer : en complément alimentaire ou dans une alimentation plus attentive ?

Vous l’aurez compris une alimentation variée reste la clé pour un apport suffisant en Fer. Mangez du poisson pour des apports en oméga 3, ne le cuisez pas trop fort pour éviter l’oxydation des acides gras essentiels. Si vous ouvrez une bouteille d’huile riche en oméga-3, conservez-la au réfrigérateur. De même, si vous avez un nourrisson à la maison, conservez la poudre de lait infantile bien au sec et à l’obscurité ! Si vous préparez un houmous, faites tremper une nuit minimum les graines avant de les cuire et ajoutez du jus de citron à votre pâte de pois chiche. Vous améliorerez ainsi votre absorption de fer. Enfin si vous le pouvez, mangez de temps à autre de la viande, des abats…
Ces deux thèses nous montrent, que bien que nous soyons des chercheurs spécialistes d’une discipline scientifique, le résultat d’une thèse dépasse généralement ce cadre et que la production de science a des répercussions dans le quotidien de chacun de nous.